Glace tous risques
Lundi 23 janvier 2017 Chronique des profs n°4
C’est un serpentin blanc qui s’enfonce dans la forêt, au milieu des bouleaux et des conifères. Bordé par un parapet de neige tassée, il déroule ses filaments en amples boucles à travers les futaies clairsemées et les clairières blanchies par les tombées de neige abondantes du début du mois. C’est là le sentier glacé sur lequel vont s’élancer 26 collégiens français, là au Lac des Loups sur la commune de La Pêche dans la Belle Province. Nous avons roulé soixante-quinze minutes depuis Orléans (quartier d’Ottawa où se situe l’école Gisèle Lalonde) pour rejoindre l’endroit gaiement « apportés » par un de ces bus jaunes tout à la fois vaillants et primesautiers que nous affectionnons particulièrement.
Il ne fait guère froid aujourd’hui encore, autour de 0°à 1°, mais la piste de patinage, fermée la fin de semaine a été rouverte et préparée pour nous autres les Français de Marolles qui formons le premier groupe de visiteurs sur un site récemment aménagé et inauguré le 28 décembre dernier. De fait, pendant nos trois heures de patinage, nous n’avons croisé que fort peu de pratiquants, quelques couples tout au plus. Autant dire que nos blousons rouges repeints aux couleurs multicolores de leur équipement hivernal ont pu s’en donner à cœur-joie. Enfin, ceux qui ont trouvé le mode d’emploi de ces chausses de torture qui tordent les chevilles et dont il fallut reprendre parfois le laçage et le serrage dès le départ.
Tous les élèves ont été pourvus de patins à glace par les familles de leurs correspondants et certains portent même des casques dont ils se seraient volontiers passés ; n’est-ce pas Kassandre et Samy ?
Assez rapidement, nous discernons une grande hétérogénéité dans la pratique et dans le rapport à l’effort physique. Il y a les sportifs qui maitrisent leur corps, les moins sportifs qui font connaissance avec lui et les pas sportifs du tout qui ignorent presque en avoir un. Parmi les premiers, il y a Baptiste B qui a pratiqué le patinage artistique et qui se risque volontairement à quelques figures quand beaucoup d’autres les réalisent indépendamment de leur bonne volonté. Très vite se forme avec lui une équipe de compétition, celle des BG34 (les beaux gosses, 3 gars, 4 filles), qui ne cessera pas d’enchainer les boucles pendant trois heures. Juliette, Roman, Dorian, Amélie P, Samantha et Chloé jouent, s’amusent, se poussent, se pourchassent et se ramassent, chahutent et chutent s’arrêtant parfois en dehors du chemin au terme d’un dérapage modérément contrôlé.
A l’opposé, quelques-uns éprouvent les pires difficultés à se lancer. Eva, manifestement peu à l’aise, chute douloureusement au bout de quelques mètres. Son amour-propre aussi meurtri que son poignet (mais sans gravité pour l’un comme pour l’autre, rassurez-vous) ne l’incite guère à poursuivre l’expérience en dépit de la sollicitude compréhensive de madame Antonini qui l’accompagne au long d’un premier tronçon de piste.
Samy qui « sait faire du patin » mais « qui a oublié » n’est guère plus téméraire. Son allure au cours des deux ou trois-cent premiers mètres est celle d’une sorte de C3PO sur patins. Progressivement néanmoins, il prend confiance et glisse (un tout petit peu) plus rapidement et non sans quelques pirouettes de fort jolie facture quoique probablement non homologuées par la fédération internationale des sports de glace. S’il n’a pas accompli le grand tour de piste, Samy n’a pas non plus renoncé facilement et il s’est longuement obstiné alors même que ses camarades sont loin devant.
Une majorité de nos jeunes gens s’est évertuée comme elle le pouvait à maitriser les lames sur lesquelles ils glissent. Avec plus ou moins de succès et plus ou moins de dégringolades. Quelques chutes ont impressionné…….le fond des pantalons et leurs propriétaires, en froid avec leur coccyx, ont parfois préféré rebrousser chemin prématurément. Ainsi Sarah, pourtant volontaire, mais découragée ou Clément qui ne sait plus trop s’il a mal au coude ou au postérieur.
Des escouades distinctes se sont formées et se sont éparpillées au long des trois kilomètres de piste. Ainsi Gwendoline, Justine et Lola, très solidaires, naviguant de banc en banc ou Nathan, Alexis et Baptiste P guère emballés par l’exercice. Mentionnons l’équipe de charme composée de Célestine, Charline, Kassandre et Anastasia qui glisse au ralenti dans la joie et la bonne humeur en dépit du BAH arboré ostensiblement sur son pull par cette dernière. Amélie Pr patine en mode ski, le haut du corps porté vers l’avant et les bras en balancier en compagnie de Naomi et de Leslie.
Robin qui a pris ses précautions en s’embarquant dans l’aventure avec son porte-bonheur, un aigle doré. Rapace protecteur qui a parfaitement accompli sa mission puisque notre jeune ami est rentré indemne au camp de base.
Pendant que la gang des BG sillonne le ruban blanc, nombre de leurs camarades se reconvertissent dans le bâtiment et entreprennent la construction d’une forteresse de glace. C’est l’occasion de se vautrer dans la neige, de se rouler par terre et de se lancer des boules à la figure. Charline qui a le sens de l’intérêt général prendra soin de les ramasser une à une afin « d’éviter qu’il y en ait qui tombent ». De l’autre côté du chemin englacé, un bonhomme de neige nommé Tonton Dédé est érigé. Mais rien à avoir avec Dominique et surtout Pascal.
Vous ne connaissez pas Pascal ? Ni Dominique ? Ce sont les nouveaux amis de Sarah, Anastasia et Juliette, rencontrés durant la fin de semaine. Disons-le, l’élégance raffinée de Pascal a séduit ses demoiselles qui en parlent encore le lendemain avec ravissement. Alors, oui, le bonhomme de neige du Lac aux loups ne fait pas le poids face à ses deux congénères.
Dans le courant de la matinée, Gwendoline, lauréate du QCM et Baptiste B et Clément, vainqueurs de la chasse au trésor jeudi ont reçu leur prix : un magnifique porte-clés avec des mitaines aux couleurs du Canada. Plus tard, peu avant le repas, Charline et Célestine devisèrent savamment sur la parlure franco-canadienne alors que Roman et Dorian qui ont pour exposé l’Histoire du Canada de 1763 à nos jours ne parviennent pas à dépasser le cap de la fatidique année 1763…. C’est ce qu’on appelle un abrégé d’Histoire.
Quand la boucle est bouclée, quand les plus dynamiques ont fini de glisser sur des patins ou sur le ventre, nous prenons le chemin du retour. Notre conductrice nous attend. Beaucoup d’animation à bord mais si les rires fusent, si les joyeux éclats de voix se répandent, nous ne subissons pas le caquetage volubile du matin quand nos 26 blousons rouges, heureux de se retrouver et enthousiastes, se sont gorgés des récits de leur fin de semaine. Il y est question de bœufs « musclés », de bisons, d’ours, de chevreuils, de marcassins, de cerfs, de caribous, d’orignaux et d’une manifestation de wapitis qui bloquaient la route dans le parc animalier Oméga où les trois quarts de nos collégiens s’étaient rendus la veille. Beaucoup ont assisté aux joutes de hockey et aux matches de soccer de leurs correspondants et correspondantes, parfois fort loin. Ainsi ce pauvres Dorian contraint de passer des heures dans la voiture pour aller à Toronto et découvrir les chutes de Niagara. On évoque les parties de quilles (bowling) du vendredi soir et les après-midis passés à magasiner….
Ce lundi soir, alors qu’une tempête de neige nous est promise pour mardi– un « snowday » - et que les jambes sont lourdes, ils se déclarent tous ravis de leur journée sauf Héloïse qui dort dans le bus.
Mais demain est un autre jour.
DR